
D’un trait de fusain – Cathy Ytak

» Au fil du temps et des années, Marie-Ange a appris à se fondre dans le paysage. Mange juste ce qu’il faut lorsqu’elle est à table pour ne pas attirer l’attention, quitte à s’enfiler trois barres chocolatées, une fois seule. Dit que c’est bon. S’en fout. Aide sa mère à débarrasser et fait la vaisselle. Range sa chambre. Obtient des notes correctes, ni bonnes ni mauvaises.
Elle a appris à se taire, ne jamais affronter directement l’adversaire, développer d’autres armes dans sa tête, attendre. «
En cette année 1992, Marie-Ange attend impatiemment ses dix-huit ans. Elle fait le décompte des jours qu’il lui reste, encore plus de 400, avant de pouvoir quitter la maison de ses parents et se prendre un studio.
En attendant, elle fait le dos rond, se rend aux cours de son lycée artistique, dessine beaucoup dans ses carnets et sort de temps en temps avec ses amis Sami, Monelle et Julien, lorsque ses parents le lui permettent.
La vie de la petite bande d’amis est bouleversée le jour où un jeune homme arrive dans leur classe pour poser nu. Il s’appelle Joos, est hollandais, sympathique. Marie-Ange le trouve très beau mais ne dit rien car elle découvre très vite que Sami en pince aussi pour le grand blond et que c’est réciproque.
L’année scolaire de Marie-Ange sera rythmée par Joos et Sami. En les voyant, elle ne peut s’empêcher de rêver d’amour pour elle aussi, d’un amour ardant qui effacerait tout le reste, de mains sur son corps qui n’a encore rien connu.
A leurs côtés, elle découvre également une société encore très homophobe, dans son entourage proche avec ses parents très conservateurs avec qui elle n’aurait même pas envie de discuter ou à l’école où Julien s’éloigne et la CPE adopte parfois un comportement plus qu’inapproprié.
» ― Ça s’appelle un coup de foudre ça, non ?
― Si tu veux, oui. En vrai, je suis hyper amoureux, Marie-Ange. Et en même temps, ça me fout les jetons. C’est la première fois et…
― Et quoi ? Regarde Monelle et Julien, là-bas devant, en train de roucouler comme des pigeons. Pour eux aussi, c’est la première fois.
― Oui mais eux… ils ont la société avec eux. On ne va pas les montrer du doigt. On ne va pas les traiter de pédés et leurs parents ne vont pas leur faire la gueule. «
Nous sommes en 1992 et depuis plusieurs années, un tueur silencieux sévit dans la communauté homosexuelle : le SIDA. Silencieux car personne ne veut en parler. Les capotes, cela ne fait pas si longtemps qu’elles sont légales et il n’est pas encore de bon ton de placer des distributeurs partout. Et puis, c’est un truc de gay ça, non ? C’est ce que Marie-Ange croyait, elle aussi, mais non, pas seulement. Le SIDA devrait être l