Romans pour adultes

Chanson douce – Leïla Slimani

chansondouce

« Le bébé est mort »

Voilà la première phrase du roman. Un roman au titre si doux qui s’ouvre pourtant sur une scène macabre. Le garçon est mort, la petite fille succombera bientôt et, dans le même appartement, se trouve une nounou qui a tenté de se suicider. Mais que s’est-il passé ?

Myriam et Paul ont la vingtaine et déjà deux enfants. Ils vivent à Paris, Paul est ingénieur du son dans le monde de la musique et Myriam, avocate, a arrêté de travailler après la naissance de Mila, leur aînée. Myriam adore ses enfants, bien sûr, mais elle commence à n’en plus pouvoir de n’être « qu’une maman ». Plus de conversations entre collègues, plus de dossiers à apprendre, plus de journée au tribunal à défendre ses clients avec passion et convictions. Oh, ils ont encore une vie sociale, ils invitent des amis, sortent parfois, mais elle se rend compte qu’elle n’a désormais plus d’autre conversation que ses enfants.
Lorsqu’elle croise par hasard un ancien camarade de fac et que celui-ci lui propose un job, elle prend cela pour un signe du destin. Retravailler, enfin ! Elle a un peu de mal à convaincre son mari parce que le salaire qu’ils devraient verser à une nounou serait à peine plus bas que celui qu’elle toucherait

« mais enfin, si tu penses que ça pourrait t’épanouir … « 

Un samedi après-midi, ils sont prêts. L’appartement est propre, les enfants ont été briefé ; aujourd’hui, ils reçoivent des nounous potentielles. Myriam et Paul se sont concertés en amont, ils savent bien ce qu’ils cherchent : elle peut être étrangère, ça pas tout de souci, mais il faut qu’elle ait des papiers sinon elle n’osera jamais appeler une ambulance ou la police en cas de problème. Pour le reste, ils n’ont pas d’autres critères mais il vaudrait mieux qu’elle n’ait pas d’enfant

 » L’important, c’est qu’elle soit vive et disponible. Qu’elle bosse pour qu’on puisse bosser« .

Cet après-midi là, ils rencontrent Louise. La quarantaine, petite, menue, le sourire franc, Louise a le visage de celle qui peut tout entendre, tout pardonner et la douceur qu’ils recherchent pour s’occuper de leurs enfants. C’est le coup de foudre. Très vite, ils découvriront qu’en plus d’être très bonne nounou, Louise est également excellente cuisinière. Elle leur mitonne de bons petits plans pour qu’ils n’aient qu’à glisser les pieds sous la table lorsqu’ils rentrent du travail et même leurs amis ont le plaisir de goûter sa cuisine lorsqu’ils viennent le weekend. Myriam et Paul n’ont plus rien d’autre à faire que de travailler et passer leur temps libre avec les enfants, la nounou s’occupe de la gestion quotidienne. Louise, c’est la perle et plus personne ne saurait s’en passer.

Doucement, cependant, on perçoit un certain malaise. Louise est omniprésente et c’est tant mieux, personne ne s’en plaint puisqu’elle est parfaite. Oui mais et si elle s’imposait trop ? Et si on ne parvenait plus à s’en défaire, à avoir des moments de famille sans elle ? Et si elle prenait trop à cœur son travail et outrepassait son rôle de nounou ?

Mon avis 

Dès les premiers mots, on comprend qu’on ne se trouve pas dans un roman feel good. L’ambiance du roman n’est d’ailleurs jamais très « bon enfant », d’une part parce qu’une fois l’introduction lue, on ne pourra jamais vraiment mettre cet élément de côté, mais également parce que la vie de famille que nous dépeint Leïla Slimani n’est pas rose tous les jours. Est-ce pour cela qu’il faudrait, selon certains, le déconseiller aux jeunes parents ? Personnellement, si je devais le déconseiller à un public, ce serait plutôt aux FUTURS parents. Les jeunes parents, ils savent très bien que ce n’est pas rose tous les jours, merci pour eux. Les jeunes parents qui travaillent, ils sont comme Myriam et Paul, sans cesse tiraillés entre la vie personnelle et professionnelle, entre ces enfants qu’ils aiment plus que tout mais qu’ils ont besoin de quitter chaque jour pour s’épanouir ailleurs et ce travail qui leur est nécessaire pour tout un tas de raison mais qu’ils quittent avec empressement le soir pour retrouver ceux qui leur ont manqué toute la journée.
Cependant, je reconnais qu’ils n’ont peut-être pas besoin de transir toute la journée en espérant qu’il ne leur arrive rien, à ces petites parts d’eux ; en tant que jeunes parents, ils se font déjà assez de soucis.

Est-ce un roman anxiogène ? Oui et non. Oui parce que personne n’aime les histoires d’enfants morts. Mais non parce qu’avec la scène d’ouverture, le « mystère » est percé dès le début. L’ambiance se fait plus pesante au fil des pages et on se demande parfois jusqu’où cela ira … avant de se remémorer que la fin, on l’a déjà lue, le « où », on le connait déjà. L’intérêt du roman est ailleurs. L’enjeu est ici de collecter de nouveaux indices à chaque chapitre, de compléter le puzzle et de (tenter de) comprendre comment on a pu en arriver là.

Si j’ai aimé Chanson douce, c’est essentiellement parce que Leïla Slimani dépeint un certain mode de vie actuel à la manière d’une journaliste qui aurait infiltré le quotidien de Myriam et Paul et les regarderait évoluer de loin sans poser de jugements. On pourrait dire qu’ils profitent de leur nounou tant ils n’ont jamais l’air de se demander si ils ne lui en font pas faire trop. C’est vrai qu’elle repart tard le soir, qu’elle fait bien plus de tâches qu’on ne lui en demandait dans l’annonce, mais si ça ne la dérange pas, pourquoi revenir en arrière ? Peut-on en vouloir au couple qui profite d’un dîner tout prêt, d’employeurs qui ne se posent pas la question de la vie privée que mène celle qu’ils croisent en vitesse matins et soirs ? « Elle bosse pour qu’on puisse bosser », c’est très ingrat, la réalité du métier de nounou et Leïla Slimani ose montrer le visage peu connu de ceux qui sont essentiels à notre quotidien et dont on ne se préoccupe finalement que peu (j’ai d’ailleurs utilisé la même phrase en parlant de la puéricultrice de mon fils il y a peu). Ils sont coincés dans un monde où rien n’est fait pour aider les parents qui travaillent à temps plein et savourent le bonheur d’être tombé sur la perle. Et Louise ? Louise, elle ne demande pas mieux.

Chanson douce dérange un peu, beaucoup pour peu que l’on soit dans la situation des personnages. C’est un très bon roman que j’ai pris du plaisir à lire mais qui aurait pu être un coup de cœur si la scène d’ouverture était restée à sa place chronologique, en clôture du roman.

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